04 mai 2020

Bénin - Affaires Etrangères : Les propositions d’Octavio Diogo pour une carte diplomatique gagnante !

Le Bénin veut s’isoler du monde ... pour économiser. C’est du moins ce que l’on est en droit de penser, à la lecture de l’article titré « Cotonou sur le point de fermer une dizaine de ses ambassades » de « la Lettre du Continent » en date du 1er avril 2020. Ledit article informait que « le président béninois Patrice Talon a décidé de ramener le nombre des ambassades et représentations diplomatiques du Bénin dans le monde à dix, contre 27 lorsqu’il est arrivé au pouvoir en 2016 », et ce, pour réduire drastiquement les dépenses publiques.
A l’heure du bilan des quatre années de gestion du pouvoir politique, l’observateur averti des questions diplomatiques ne peut se douter que le bilan n’ait pas été, totalement satisfaisant, dans la mesure où le pays perd du terrain sur la scène internationale chaque jour qui s’écoule. Et pour enfoncer le clou, une fermeture « complémentaire » de missions et représentations diplomatiques du pays dans le monde, après celles de 2018 et de 2019 ainsi que la réduction drastique du personnel diplomatique, est annoncée. Et cela semble être bien acté.  D’après un blog local, le Consul Général du Bénin en Cote d’Ivoire aurait porté la nouvelle de fermeture de son Consulat à la connaissance des compatriotes y résidant à travers son par courrier en date du 14 avril 2020 adressé au Haut Conseil des Béninois de l’Extérieur Section Côte d’Ivoire (HCBE-SCI).



Ce que je propose concrètement :

Parce que la présence diplomatique veut être ramenée « à un niveau conforme à la vision stratégique du gouvernement et compatible avec nos capacités et ressources » (Selon les écrits de Mr Servais Zohoun, Consul Général du Bénin en Cote d’ivoire), la carte diplomatique que devrait viser la diplomatie béninoise doit répondre aux trois (03) objectifs généraux suivants :




1. Continuer à assurer la présence du Bénin et la renforcer dans la géopolitique internationale à travers la conservation de toutes les missions multilatérales. Cela veut tout simplement dire qu’il faudra maintenir les quartes (04) Missions permanentes du Bénin auprès de la CEDEAO (Abuja, au Nigéria), de l’Union africaine (Addis-Ababa, en Ethiopie), de l’ONU (New York, aux USA) ainsi que celle auprès de l’Union européenne (Bruxelles, en Belgique). La raison est toute simple : ces instances diplomatiques constituent les cadres privilégiés et uniques des négociations intergouvernementales régionales de grande portée et de grande incidence, tant sur les relations politiques, diplomatiques, amicales et de coopération pour une action politique concertée aux niveaux sous-régional, régional et mondial. Le potentiel qu’offre une ambassade multilatérale, c’est d’avoir un portail d’entrée plus facile vers une multitude de pays à la fois et en même temps!
En effet, en fermant la Mission d’Addis-Ababa tel que cela laisse croire, ce sera un signal négatif assimilable à un retrait du Bénin des affaires africaines et son autarcie sur les affaires diplomatiques du continent, auxquelles il devrait porter sa voix, surtout dans un contexte où l’organisation est en pleine reforme. Cette fermeture donnera un écho assez contradictoire dans la mesure où  gouvernement béninois venait de retirer sa déclaration du protocole de la Charte Africaine des Droits de l’Homme ayant créé la Cour africaine, quelques semaines après l’élection du pays, en février 2020 au Conseil de Paix et de sécurité de l’UA. En conséquence, se retirer d’Addis-Ababa et de New York provoquera un isolement total du pays quant à sa participation et à son accueil des rencontres à plusieurs niveaux de l’UA et le pays subira certainement des décisions auxquelles il n’aura pas été associé parce qu’il ne porterait plus sa voix dans les instances et organes de ces organisations intergouvernementales. La présence du Bénin, à titre permanent auprès de l’UA, de l’UE et de l’ONU permet au pays de se faire compter sur la géopolitique et de bénéficier de leur apport dans les domaines qu’il conviendra au gouvernement de (re)définir. La nécessité d’été présent auprès de la Commission de l’Union Africaine a sauté aux yeux des pays à tel point que le Maroc a du rattraper son isolement politique en réintégrant l’Union en 2018. De plus, le Cap Vert et la Guinée Bissau longtemps absents de la vie quotidienne de l’Union ont du établir leur mission permanente à Addis-Ababa il y a quelques mois. A mon avis, revoir les objectifs que ces Missions permanentes doivent désormais atteindre et redéfinir les cahiers de charge des Ambassadeurs et du personnel, est la chose la plus « smart » à faire, plutôt que de les fermer. En ce qui concerne l’UE, le gouvernement veut-il ou a-t-il les moyens sur le long terme de maintenir la froideur dans les relations avec l’Union européenne ?

2. Conserver les missions à grand intérêt économique.
A priori, la diplomatie économique suppose des activités de service diplomatique axées sur l'augmentation des exportations, l'attraction d'investissements étrangers et la participation aux travaux des organisations économiques internationales, c'est-à-dire des actions visant à réaffirmer l'intérêt économique d'un pays au niveau international. En plus de la zone « Union européenne » qui se trouve être le premier interlocuteur commercial du Bénin, le Maroc, l’Afrique du Sud, la Chine et les pays du Golf constituent également des investisseurs importants dans le pays. Il serait alors logique de s’assurer qu’une représentation diplomatique avec des priorités économique soit présente tant à Rabat (Maroc), à Pretoria (Afrique du Sud), qu’à Pékin (Chine), pendant qu’on conserve celle de Ryad, en Arabie Saoudite et élargir sa juridiction sur le Qatar, le Sultanat d’Oman, Koweït, les Emirats Arabes Unis et Bahreïn.
En maintenant les ambassades à Paris (France) et à  Washington (Etats-Unis d’Amérique), notre pays pourra continuer et renforcer les discussions avec toutes les grandes organisations traitant des questions du commerce et de développement économique, telles que l’Organisation Mondiale de Commerce (OMC), l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), la Conférence des Nations unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), ainsi que les Institutions de Bretton Woods. De même, la coopération coopération militaire doit être renforcée avec la France et les USA, au regard des enjeux émergents de paix et de sécurité dans la sous-région.
Enfin, pour les questions de « diplomatie cultuelle » dont le Ministère des affaires étrangères a la charge suivant le Décret 2017-586 du 13 décembre 2017 qui le régit, il y a urgente nécessité de maintenir le pont avec le Brésil et le Cuba, et de le convertir en véritable levier de développement socioéconomique, comme l’a fait le Ghana par exemple qui en a engrangé d’énormes ressources et investissements en nouant le pont avec la Communauté noire américaine.
Au total, 8 ambassades bilatérales dans le monde avec des juridictions plus élargies pourront servir d’appui à la diplomatie béninoise tout en minimisant les coûts !

3. Protéger les béninois de l’extérieur et leur offrir assistance et services de qualités. S’il y a bien une communauté qui participe activement à l’économie nationale, à travers les transferts d’argent à leurs familles et pour des investissements dans l’immobilier, c’est bien la diaspora béninoise tant sur le continent africain qu’ailleurs. Aux termes du Décret 2017-586 du 13 décembre 2017, le Ministère des Affaires Étrangères et de la Coopération à travers sa Directions des Affaires Consulaires et des béninois de l’extérieur a pour responsabilité, entre autres, de tenir et mettre régulièrement à jour le fichier des Béninois de l'Extérieur, de protéger leurs intérêts, de veiller au traitement convenable des préoccupations des Béninois à l'Extérieur et leur porter assistance en situation difficile.
Si les consulats généraux sont fermés (tel que cela semble se dessiner) et qu’aucune alternative n’est offerte, les compatriotes de l’étranger souffriront d’abandon de leur gouvernement quant à :
  • la délivrance de laissez-passer pour le retour des compatriotes ayant égaré leurs passeports ou pour expiration de passeports;
  • l’assistance dans des situations difficiles (justice, pénitencier, vie quotidienne) ou dans les pays d’accueil ;
  • la légalisation ou l’authentification de documents délivrés au Bénin et qui sont nécessaires à la vie à l’étranger, etc.
Et pour palier tout cela, la nouvelle carte diplomatique devra viser à (i) promouvoir l’extension du réseau consulaire à travers l’URGENTISSIME création de Consulats Honoraires dans toutes les villes principales de tous les pays dans les délais raisonnables et dans la mesure du possible et redynamiser ceux existants avec, à la clé, une coordination et collaboration qui accentue le maintien d’un contact plus étroit avec nos compatriotes ; (ii) faciliter la redynamisation du Haut conseil des béninois de l’extérieur (HCBE) et faciliter leurs relations et collaboration avec les consulats honoraires, et enfin (ii) assurer d’étroites relations de travail et de contacts réguliers systématiques entre les Consulats Honoraires et le Ministère des Affaires étrangères, l’Agence nationale des Migrations et de la Diaspora (ANMD), la Chambre du Commerce et d’Industrie du Bénin, l’APIEX ainsi que d’autres services connexes.
Mon avis personnel est que, l’inexistence de Consulats généraux dans les pays à forte concentration des béninois de l’étranger, notamment en Cote d’Ivoire, au Togo, au Gabon, en République du Congo, en Guinée équatoriale et au Sénégal, c’est simplement rendre « orphelins » ces compatriotes et envoyer un signal qui s’apparenterait à « heuuu, le Bénin et son gouvernement s’en foutent de vous ! » – Oh, un sentiment serait du déjà vécu pur la Diaspora, je suppose !
Tout ceci ne vaudrait rien si, dans la mise en œuvre des objectifs ci-dessus mentionnés, les actions ne se reposent pas sur :
  • Une boussole : la politique étrangère ! La politique étrangère peut être définie comme l’ensemble des principes, orientations, programmes, ententes, institutions et actions qui caractérisent les relations d’un État avec les autres États. A l’heure où nous écrivons, aucun document officiel qui résume tous ces principes et autres, n’est rendu public dans ce sens, encore moins sur le site web du Ministère des Affaires Etrangères. Cela laisse croire que les nombreuses et précédentes tentatives d’avoir une politique étrangère digne du nom ont échoué. Ne pas en disposer, c’est naviguer à vue ; c’est obliger les ambassadeurs à passer d’interminables appels téléphoniques à leurs supérieurs hiérarchiques et « hautes autorités » pour recevoir d’eux des instructions, même pour faire face à des situations les plus simples et banales !
  • L’obligation de moyen et de résultat. La gestion axée sur les résultats qu’a introduite le Ministre Aurelien Agbénonci dans ce secteur, est fantastique ! Il est désormais impérieux, dans le combat pour la mobilisation des ressources pour le développement du pays, que le personnel diplomatique en poste ou non, soit tenu de l’obligation tant des moyens que des résultats. Bien entendu, pour ce faire, l’Etat se doit de mettre les moyens. Les missions multilatérales doivent être autant tenues que celles bilatérales de prospecter, identifier et mettre les potentiels investisseurs dans n’importe quel secteur en contact avec les administrations et institutions compétentes du Bénin. Cela demandera de la pro-activité de tous, et non de la réactivité.
  • Une nomination en poste basée sur du pragmatisme. La diplomatie, ce n’est pas pour les timides, les flemmards, ceux qui ne savent rien des jeux de coulisse et de ralliement, les indécis et les hésitants à l’action, les verbiageurs, encore moins pour ceux qui veulent réduire l’activité diplomatique et la fonction ambassadoriale à de simples « compte rendus » au Ministère. Cela dit, il sied de revoir le processus de nomination des ambassadeurs et du personnel diplomatique en poste (i) en mettant l’accent sur une spécialisation de carrière concentrée sur les questions et enjeux précis et/ou sur la matière (politique, économique, socioculturelle) et/ou sur la portée de l’action (bilatérale ou multilatérale), (ii) en respectant le grade et la compétence au moment de la nomination afin de motiver le cadre, (iii) en enrayant le népotisme et le clientélisme politique dans le choix, et enfin, (iv) en limitant le temps de fonction d’ambassadeur à trois ou quatre ans pour pouvoir procéder à une évaluation conséquente qui devra conditionner leur reconduction à la tête de quelque mission. Rassurez-vous, j’ai servi un ambassadeur qui a fait des merveilles en 2 ans ; ce n’est pas sorcier et c’est aussi possible pour les nôtres !
  • Une collaboration étroite avec la diaspora professionnelle ! La diaspora béninoise peut être un atout de taille pour des entrées plus rapides et pour des résultats plus probants, surtout dans le cas du multilatéralisme. Pour cela, le Bénin gagnerait à ce que les missions diplomatiques les intègrent dans leur stratégie d’approche. C’est bien ce qui fait la force d’autres diplomaties comme celles nigériane et sénégalaise.
  • Une administration restructurée. A l’aune de la proposition de carte, il devient impératif d’enrayer la duplicité dans les cahiers de charges et le conflit d’attribution qu’occasionne la kyrielle de directions techniques, directions générales, Agences au sein du ministère des affaires étrangères. Les directions géographiques, ainsi que certains services devraient céder la place aux autres directions et agences où le personnel a besoin d’être renforcé en effectif et en qualité.
Notre diplomatie peut mieux faire, nous en avons les moyens et les capacités. Il suffit d’avoir des hommes qui aiment faire bouger les lignes dans cette profession et dans la maison « affaires étrangères » sous l’impulsion du président Patrice Talon et de son Ministre des Affaires Etrangères. Ce sera pour le bien de tous les béninois de l’intérieur comme de l’extérieur !   

Sur l'auteur:
Octavio Diogo est un juriste béninois dans la Diaspora africaine. Passionné des relations extérieures, des affaires politiques et du développement international, il a servi en diverses qualités, plusieurs missions diplomatiques multilatérales africaines et américaine avant de mettre ses compétences au profit de l’organisation intergouvernementale panafricaine. Il dirige actuellement l’ONG Weziza Afrika qui développe une expertise jeune dans les domaines de gouvernance, du genre et des Droits de l’Homme sur le continent.

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