20 février 2020

Diplomatie: Comment le Bénin peine à "décrocher" des positionnements dans l'Union africaine


La semaine écoulée, une certaine presse locale béninoise a titré dans sa "une" que le Bénin aurait “décroché” un poste au sein du Conseil de Paix et de sécurité de l’Union africaine. Ce titre m’a fait un peu sourire quand j’imaginais comment la communication (j’ai fait un court séjour dans le monde de la communication) d'une telle annonce pourrait faire croire que mon pays avait réalisé un exploit ! J’ai alors jugé utile, à travers ce petit billet qui n’est soutenu par aucune raison politique, d’édifier ceux qui s’intéressent aux choses du monde diplomatique comme moi, sur les tenants et aboutissants. Une fois de plus, mon billet doit être vu comme un outil de renforcement de capacité sur le sujet, au regard de ma modeste expérience de 7 ans dans le monde politico-diplomatique d'Addis-Abéba d'où j'apprends chaque jour:

Non, le Bénin n’a vraiment rien « décroché » lors du sommet de l'UA.
"Avoir décroché quelque chose" suppose qu’on s’est battu pour cette chose, contre vents et marrés et qu’on ait pu l'obtenir quoique cela ne nous est pas, à priori, destiné. 
Ici, dans l’action diplomatique, «décrocher» signifierait que la diplomatie béninoise aurait  planifié, aurait nourri la vision, aurait engagé des actions de lobbying et de concertation constante et activé des accords bilatéraux avec des pays amis pour « parvenir » à être élu au Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’Union africaine.- Il n'en était pas le cas, puisque le siège au CPS nous revenait de droit, selon la rotation par pays par ordre alphabétique au sein de la région de l'Afrique de l'Ouest (par extension la CEDEAO). J’explique. 

La liste alphabétique des pays de notre région commence par le Bénin. Les ambassadeurs de la CEDEAO devraient, au moyen des concertations, s’entendre pour choisir 4 Etats membres pour siéger au CPS: l’un pour un mandat de 3 ans et les 3 autres pour un mandat de 2 ans, bien sûr, renouvelables.

Ainsi, depuis sa création en 2004, tous les Etats de la CEDEAO venaient en 2019 de boucler chacun deux mandats de 2 ans (2008-2012 pour le Bénin), à l’exception du Nigéria qui a cumulé près de 14 ans. Par conséquent, on reprend la liste par le premier pays par ordre alphabétique, d’où la désignation automatique et sans procès du Bénin! Donc, notre pays ne pouvait  ne pas siéger au CPS à compter du 1er avril 2020 !
Par conte, on pourrait qualifier d’exploit, la désignation du Bénin pour un mandat de 3 ans, ce qui ne fut pas  le cas.

Que fait alors la diplomatie béninoise en Afrique - pour les béninois?
Du point de vue de positionnement des béninois (et Dieu sait que nous avons des cadres de par le monde), je suis tenté de dire « RIEN ».
A la date d’aujourd’hui, le BENIN n’a officiellement aucun poste dans la sphère de l’UA. 
Tenez juste les statistiques suivantes- Le pays n’a aucun de ses citoyens :
  • parmi les 10 membres de la Commission de l’UA - CUA (Président, Vice-président et 8 commissaires),
  • parmi les 8 directeurs de département que comporte la CUA,
  • parmi les 15 Directeurs centraux de la CUA,
  • parmi les 13 Conseillers au service du Président et du Vice-président de la  CUA,
  • parmi les 7 Représentants permanents de la CUA auprès des institutions internationales/régionales basées à New York (USA), Bruxelles (Belgique), Genève (Suisse),  Beijing (Chine), Caire (Egypt.), Lilongwe (Malawi),
  • parmi les 13 Représentants spéciaux, Chefs de Bureau de Liaison de la CUA,
  • parmi les 9 Hauts représentants de l'UA,
  • parmi les 4 Envoyés spéciaux du Président de la CUA,,
  • parmi les 7 Représentants Spéciaux du Président de la CUA.

Au total, si mes calculs sont bons, AUCUN des 86 hauts fonctionnaires politiques de l’Union africaine n’est béninois.

C’est la faute à qui? Ne me demandez pas, parce que moi–même je cherche encore la réponse. Pourtant, le Bénin fait partie des premiers Etats à mettre en œuvre la mesure de 0.2 % de taxe sur les importations éligibles destinée à financer l’Union africaine, et notre pays honore ses engagements financiers vis-à-vis de l'Union! Alors, comment la Diplomatie béninoise n’arrive pas à rentabiliser les 220.518,76 dollars américains (soit environ plus de 122 millions de francs CFA) que le pays paiera en 2020 à titre de contribution, une somme qui sera mobilisée sur les impôts du contribuable national ?

Pire (ou mieux encore), à l’heure où nous écrivons,
  • le  Bénin n’est ni membre de bureau, ni simple membre d'un des 4 comités ministériels au niveau du Conseil Exécutif de l’UA,
  • aucun ministre béninois n’est membre de bureaux des 14 Comités techniques spécialisés (CTS) de l'UA, comités qui rassemblent les ministres sectoriels,
  • le Bénin n’est membre d’aucun bureau des 11 sous-comités du Comité des représentants permanents (COREP), c’est-à-dire, l’Union africaine au niveau ambassadorial, alors même que le Mali, le Burundi et le Congo sont dans plusieurs bureaux à la fois. Est-ce une question de masse de la contribution au budget de l’Union africaine ? NON, le Bénin contribue  plus que le Burundi, par exemple.
  • Le Bénin N’ABRITE AUCUN des 30 Organes ou Institutions spécialisées ni Bureau de liaison de l’Union africaine, pour qu’au moins des nationaux puissent occuper des postes, tout au moins d’exécutants. A considérer que l'acceuil d'un organe est relativement couteux pour l'Etat, sur le long terme, cela contribue à faire tourner l'économie locale avec des réserves étrangères. Si non, comment compendre que des pays comme l'Ethiopie, le Kenya, le Cameroun, l'Afrique du Sud, l'Algérie, etc... se battent à chaque occasion pour recevoir sur leur territoire, les institutions de l'UA?
Et pourtant, notre pays a démontré son panafricanisme en facilitant les procédures d'entrée des frères africains sur son territoire "sans visa", faisant de lui le 1er pays le plus ouvert aux africains. 

Convenez alors avec moi qu'il n’en faut pas plus pour que le Président Patrice Talon soit désigné « Champion sur la libre circulation des personnes » et inciter la création, pour le présider, d'un Comité de Haut niveau pour la libre circulation des personnes en Afrique, dans le but de réaliser les aspirations de l’Agenda 2063 y relatives. 

Tout béninois, dans la diaspora pourrait, s’il en est investi autrement, devenir un puissant outil dans la main de la diplomatie. Seulement, que la voie soit tracée par le Chef de la Diplomatie ! Nous sommes au service de notre cher pays que nous voudrions voir briller davantage. Rien d’autre !!!

17 février 2020

La question du Genre de manière fondamentale : Une revue des concepts

Par -Octavie Louisa
For the Enghlish verison, click here 
La notion générique que la plupart des gens ont, en ce qui concerne le Genre est que ce concept concerne uniquement les femmes. Or, le Genre est un concept unisexe. La confusion est souvent faite entre le genre et le sexe, même si elles sont deux théories totalement différentes.

De notre compréhension, le genre fait référence aux différents rôles et responsabilités des hommes et des femmes dans une société, en fonction de leur culture et des valeurs tandis que le «sexe» fait référence aux caractéristiques biologiques, l'apparence physique d'une fille ou un garçon.

Au cours des dernières décennies, le «Genre» a été considérée comme un outil obligatoire pour les organisations internationales, car elle aide les femmes à faire l’évaluation et le suivi de leurs capacités et compétences. Le Genre a également servi de référence pour aider les femmes à atteindre les objectifs de développement à travers l'objectif de parité, Ordre du jour des Organisations Internationales à l’instar de : l'Agenda 2063 de l’Union africaine  et  l’Agenda 2030 des Nations Unies pour le  développement durable.

Cependant, l’état d’esprit culturel du patriarcat, dont la plupart d'entre nous africaines, sommes victimes et devraient sortir, a donné naissance à un produit de socialisation qui suggère que « les filles sont naturellement inférieures aux garçons ». En outre, il a été prouvé que la plupart des traditions africaines emprisonnent la mentalité d’émergence, du développement et d’épanouissement des femmes et favorise ainsi l’inhibition de leurs capacités à être à l'avant-garde, sans stéréotypes. Dans la plupart des cas, les stéréotypes sont renforcés par la famille, l'école et le quartier, compte tenu du fait que les agents de socialisation tels que : les parents, les professeurs, les pasteurs, etc. influencent directement le comportement et les actes d'un enfant, ce qui contribue à perpétrer ce genre de stéréotypes envers les Femmes. L'appréciation du genre ne devrait en aucun cas être basée sur le sexe de l'enfant.

gender-equality-20123274
L'intégration du concept "Genre"

L'intégration de la dimension Genre (Gender Mainstreaming) a été adoptée à l'échelle internationale à la fois comme une stratégie et un objectif vers la réalisation de l'égalité des sexes dans tous les secteurs et domaines de la vie. En d’autres termes, l'intégration d'une perspective sexospécifique a été adoptée à l'échelle internationale en tant que stratégie et objectif visant à réaliser l'égalité des sexes dans tous types de métiers et professions de la vie. De par sa définition lointaine, l'intégration de la dimension Genre est connue comme « un processus d'évaluation des implications pour les femmes et les hommes à toute action planifiée, y compris la législation, les politiques ou les programmes, dans tous les domaines et à tous les niveaux. Il s’agit d’une stratégie visant à intégrer les préoccupations et les expériences des femmes ainsi que des hommes, dans de la conception, la mise en œuvre, le suivi et l'évaluation des politiques et des programmes dans tous les domaines politiques, économiques et sociaux, afin que les femmes et les hommes bénéficient équitablement des opportunités et que, par conséquent,  l'inégalité ne se perpétue pas », Conseil économique et social des Nations Unies, 1977.

Dans la pratique, « le Gender Mainstreaming » est un outil actif d'équité pour permettre aux hommes et aux femmes d'exprimer librement leurs compétences sans discrimination ni parti pris. La plupart des organisations internationales et politiques, notamment l'Union Africaine et les Nations Unies, entre autres, ont fait des refontes profondes dans leur programme de travail, pour améliorer et promouvoir l'égalité des sexes et l'équité de Genre, dans leur domaine. Ainsi, la volonté des femmes et des hommes pour transformer l'Agenda en faveur de l'égalité des sexes, telle que la Stratégie de l'Union africaine pour l’Égalité entre les sexes et l'autonomisation des femmes(GEWE) en des actions concrètes, devient de plus en plus fructueuse. Toutefois, dans le processus d'aborder pleinement la question du genre, il y a une énorme nécessité d'éviter la « Cécité Genre » (Gender Blindness) qui consiste en la neutralité et la non-reconnaissance des rôles de genre et leurs implications dans toutes les sphères de la société.

L'intégration de la dimension Genre est non seulement sur les droits des femmes, mais  également sur liée aux devoirs des femmes, quant à leur capacité de prendre des responsabilités de l'apprentissage, de se former (en faisant des formations professionnelles du domaine dans lequel elles veulent travailler) et étant chercheuses d’opportunités. Les femmes devraient se réveiller et être responsables envers toutes ces lois qui leur donne du pouvoir dans le but de les élever et leur donner des possibilités d'être dans les sphères de prise de décisions et de contribuer à motiver et élever toutes celles qui s’attendent à atteindre le niveau de commandement.

Par conséquent, les réalisations et avancées concernant la dimension Genre, au cours des dernières années ont été et continuent d’être très significatives et encourageantes, mais il reste  encore beaucoup à faire. À cet égard, ce que nous voulons prioriser dans les années à venir,  est le rôle et l'implication totale des femmes, à jouer durablement leur rôle dans ce processus de développement et de l'autonomisation économique, parce que rien ne peut se faire que si les femmes elles-mêmes ne manifestent pas d'intérêt pour le développement de leur état d'esprit lié à cette question, dans la mesure où l'intégration de la dimension Genre a été institutionnalisée par la loi constitutionnelle de nombreux pays dans le monde. Les femmes peuvent alors profiter et exploiter les progrès, pour exprimer pleinement ce qu'elles sont capables de faire et de devenir.

Nonobstant, l'Architecture du Genre n’est pas une chose complexe et est autant profonde que ses racines. Cette architecture est une démarche, conduisant à la nécessité d’une prise en compte de nombreux éléments, visant à éviter la dichotomie, marquer une nette différenciation entre les concepts et les politiques utiles pour sa mise en œuvre effective dans tous les domaines.
En somme, les femmes devraient secouer les réalités afin de favoriser la lutte pour l’intégration de la dimension Genre, c’est-à-dire, de l'égalité des sexes, en créant une plateforme d'échange d'expériences sur les questions de genre, l'analyser par le biais de la méthodologie SWOT et trouver des solutions qui peuvent les aider à être associées au niveau supérieur de prise de décision. Ainsi, la spécification et la technicité du rôle prépondérant des femmes dans tous les domaines est réellement la clé de tous les processus de prise de décision.   


Octavie Louisa est experte en Gouvernance et en Intégration Régionale. Elle est passionnée des questions de droits de l’homme, genre, résolution des conflits, paix et sécurité humaine. Elle est la co-fondatrice de l’ONG Weziza Afrika dont elle dirige, en qualité de Directrice, l’Institut Weziza Afrika pour la Gouvernance et les Droits de l’Homme dont le mandat touche les questions thématiques de justice transitionnelle, le genre dans la paix et la sécurité, la résolution des conflits, la paix et la sécurité humaine.

06 février 2020

Sécurité-défense - Coopération militaire sino-Congolaise : tremplin de développement de l’appareil de défense du Congo ?

-       Par Octavie Louisa

Les périodes de l’entre-deux-guerres mondiales et la fin de la guerre froide ont été marquées par l’émergence d’une nouvelle théorie en Relations internationales : celle de la Coopération. Portée par des ténors tels que Robert AXELROD, Robert KEOHANE, Joseph NYE, John RUGGIE, Stephen KRASNER, etc., la coopération suppose « l’institution d’une société globale construite sur un mode de gouvernance d’interdépendance[1] des Etats, de façon multidimensionnelle, pour faciliter les relations dans des domaines variés[2] ». Ainsi, avec la mondialisation, la coopération s’est invitée au centre des enjeux géopolitiques et géostratégiques des Etats modernes actuels.

La Coopération : un bref rappel

Théoriquement, la coopération s’entend de « l’action de participer à une œuvre ou à une action commune», selon le centre national de ressources textuelles et lexicales (CNTL) de France. Le dictionnaire Larousse la définit comme « l’action de coopérer, de collaborer de participer à une œuvre commune, une politique d’entente et d’échanges entre deux Etats». Plus spécifiquement, la coopération est une alliance entre deux ou plusieurs acteurs pour un travail collectif, d’une implication conjointe dans un domaine précis.
De manière pratique, la coopération désigne l’aide apportée par un pays à un autre, dans le but de contribuer à son développement dans un domaine quelconque. Pouvant être bilatérale (entre deux pays) ou multilatérale (plusieurs partenaires), elle s’étend généralement sur les domaines d’ordre militaire, sécuritaire, économique, financier, technique, sportif, culturel etc.
Sur le plan militaire, la coopération consiste en des actions conjointes et coordonnées, un ensemble d’échanges relatifs à l’armée et la défense inter-Etats, de manière synallagmatique ou non.
Cette tendance mondiale de coopération internationale n’a point épargné le Congo qui, à l’aune de son indépendance, a multiplié plusieurs types de coopération dans différents domaines, y compris la coopération militaire, et avec plusieurs partenaires régionaux et internationaux. A côté de la France, le plus vieux de tous les partenaires avec lequel ce pays de l’Afrique centrale entretient des relations diplomatiques ancrées dans son histoire, le Congo a noué des relations diplomatiques avec d’autres acteurs internationaux, notamment la Chine, premier pourvoyeur de Casques bleus parmi les 5 membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU et dont le développement multisectoriel depuis les années 70, suscite de l’admiration de la part du Congo.

La Chine, un partenaire militaire fiable du Congo ?

Avec la mondialisation, la coopération militaire est devenue le recours sine qua non des pays en voie de développement vers les BRICS[3] et autres pays développés (Grande Bretagne, USA, France, Japon, Belgique…), sur la base d’accords stratégiques diversifiés. Ainsi, la coopération militaire est couverte par le chapitre « défense et sécurité » des accords diplomatiques émergents. Ladite coopération repose sur deux jalons: 1) l’assistance technique, qui fait partie des accords tacites, à partir d’un mémorandum intergouvernemental – et 2) les « Accords de défense ».

Partie visible de l’iceberg, ce premier jalon concerne généralement la coopération militaire opérationnelle (à court et moyen termes), alors que le second jalon codifie et englobe toutes les catégories de coopération militaire : opérationnelle et structurelle (à long et très long termes).
Etablies depuis le 22 février 1964, les relations diplomatiques entre la République du Congo et la République Populaire de Chine se sont muries au fil des années pour revêtir un caractère davantage sérieux. La coopération sino-congolaise s’est diversifiée avec le temps pour atteindre son point cumulant en 2016, avec la signature de plusieurs autres accords multisectoriels et multiformes ; ce qui a fait de la Chine, une « partenaire stratégique globale » du Congo, mieux, une partenaire désintéressée, étant entendu qu’elle ne pose aucune conditionnalité pour ses prêts et aides.
Sous la rubrique des l’assistance technique au Congo, la Chine intervient, à plus d’un titre, en contribuant à la modernisation de l’armée Congolaise et de son appareil de défense. Cette coopération revêt une importance indéniable, couvrant les aspects : 1) de formation de troupes (Troop training) des militaires Congolais dans les différentes écoles militaires Chinoises, à travers les offres des bourses de formation, 2) d’acquisition d’équipements militaires de pointe (Military Equipment Acquisition), notamment la logistique, l’artillerie, les matériels informatiques et matériels de bureau, ainsi que d’autres moyens techniques, 3) de transfert de connaissance (Knowledge Transfer), de savoir-faire à travers les stages d’apprentissage des militaires Congolais dans les écoles militaires de Chine, 4) d’assistances multiformes gracieusement apportées à l’Etat congolais dans le domaine médical et bien d’autres.
Pour ce qui est de la coopération militaire structurelle, bien qu’il y n’ait pas de définition juridiquement établie de la notion « d’Accord de défense », la France est citée parmi les pays qui en a dûment signé un, avec le Congo. Cette coopération de défense a évolué dans le temps et les amendements sont toujours d’actualité entre le Congo et son partenaire traditionnel.
Dans sa forme actuelle, la coopération militaire Sino-Congolaise est basée sur des arrangements tacites ayant pour source un mémorandum intergouvernemental qui prévoit des actions conjointes et coordonnées entre les deux pays dans le domaine militaire. Ledit mémorandum ne comporte pas systématiquement des clauses qui autorisent l’une des parties à intervenir dans la politique de défense nationale ou dans la doctrine militaire de l’autre, même en cas de menace ou d’agression extérieure. La signature d’un « Accord de défense » proprement dit, relève de la volonté politique des deux Chefs suprêmes des Armées des pays-amis.

Qui gagne concrètement de la coopération militaire sino-congolaise ?
Pendant que certains sont convaincus de ce que le « leadership bienveillant[4] » de la Chine est une forme de magnanimité à l’endroit du Congo, d’autres le perçoivent comme étant une forme de tutorat, voire même de néocolonialisme. Mais il n’existe pas de coopération unilatérale : chaque Etat, quoi que pauvre, est dans un processus de « donnant-donnant[5] » qui implique la notion d’association et de solidarité, plutôt que de gain systématique ou de générosité.
Pour ce qui est de la coopération sino-congolaise, elle a été conçue pour être transparente, équitable et profitable aux deux parties, donc gagnant-gagnant, comme on pourrait le conclure à la lecture des conclusions du Forum sur la Coopération Sino-Africaine (FCSA), tenu à Beijing, les 3 et 4 Septembre 2018. Le Congo, faisant partie des quatre pays pilotes, piliers de la coopération Chinoise en Afrique, la coopération militaire Sino-Congolaise apparaît donc comme le parachèvement du décloisonnement des stéréotypes linguistiques et culturels entre les deux peuples pour favoriser une meilleure communication. Ainsi, dans cette coopération « gagnant-gagnant », le Congo bénéficie de l’expertise de l’armée chinoise dans plusieurs secteurs et fournit à sa partenaire, en l’occurrence la Chine, des matières premières issues de son sous-sol notamment : le pétrole, la potasse, le fer, etc. Pour le Président Chinois, S.E.M. Xi JINPING, « la Chine dispose d’un tissu industriel complet, tandis que le Congo se trouve en pleine phase d’émergence et d’industrialisation »[6]. C’est la preuve de la volonté manifeste de la Chine à œuvrer, avec l’implication du Congo, au développement concret et pérenne de son partenaire dans plusieurs domaines, dont militaire.

Comment le Congo pourrait-il davantage optimiser sa coopération avec la Chine ?
Dans la perspective de tirer pleinement profit de sa coopération avec le géant de l’Asie, le Congo pourrait envisager, entre autres de:
 Explorer les nouvelles perspectives de formation en multipliant les filières et les spécialisations ;
  Multiplier les collaborations avec les hauts instituts spécialisés de la Chine, dans les domaines de sécurité, stratégie et défense ;
 Instituer un Think-Thank ou Unité spéciale élargie, chargée des questions de coopération, qui devra fonctionner comme un laboratoire de prospection et d’inventivité,
  Renforcer son personnel travaillant sur les questions de coopération militaire, en collaboration avec des universitaires et autres acteurs s’intéressant à la question;
   Faire avancer la coopération militaire, en initiant et concluant la signature d’Accords de défense entre le Congo et la Chine ;
   Renforcer la formation des militaires congolais dans le domaine de la technologie, du numérique et des sciences de l’espace, afin de garantir la souveraineté nécessaire à la lutte efficace contre le fléau de l’espionnage sur la scène internationale.

En définitive, la coopération militaire sino-congolaise est une coopération viable, fructueuse et stable, bien que jonchée de plusieurs équivoques, entretenues par certains acteurs internationaux. La Chine s’est avérée être un soutien indéfectible du Congo durant les périodes de crises sociopolitiques qu’a connu ce dernier, à travers : les dons multiformes, l’aide humanitaire, à l’armée et les soins médicaux procurés aux populations Congolaises par les bateaux militaires Chinois. Aussi, en 2016, la Chine a-t-elle entrepris les travaux d’extension et de rénovation de l’Académie Militaire Marien N’GOUABI, afin de permettre au Congo de répondre aux impératifs de l’évolution de la technologie, de s’arrimer aux NTICs, de former qualitativement ses ressources humaines qualifiées et s’offrir des infrastructures modernes. Le Congo pour sa part, s’active à mettre en place des moyens idoines pour la bonne marche de la coopération militaire avec la Chine. Ainsi, la coopération militaire Sino-Congolaise est un créneau favorable au développement de l’appareil Congolais de défense. Ce serait véritablement le tremplin de développement de l’armée Congolaise, si le pays s’engage à appliquer rigoureusement et de façon pérenne les clauses de coopération le liant au géant asiatique. Il pourra alors jouir de la prépondérance en ressources matérielles, humaines, technologiques de puissance[7] dont dispose la Chine.


REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES:
  • AXELROD Robert, Comment réussir dans un monde d’égoïstes: Théorie du comportement coopératif, Paris, Odile Jacob, 2006, 226p.
  •  BATTISTELLA Dario, Théories des relations internationales- 5ième édition mise à jour, Paris, Presses de Sciences Po, 2015, 686p.
  • GAYE Adama, Chine-Afrique : Le dragon et l’Autriche, Paris, L’Harmattan, 2006, 294p.
  • GOUNELLE Max, LANFRANCHI Marie-Pierre, Relations internationales, Paris, Dalloz, 11ième édition, 2015, 243p.
  • KABOU Axelle, Et si l’Afrique refusait son développement ?, Paris, L’Harmattan, 2015, 208p.
  • KEOHANE Robert, NYE Joseph, Power and Interdependence: World Politics in Transition, Longman, New York, 1977, 334 p.

Octavie Louisa est experte en Gouvernance et en Intégration Régionale. Elle est passionnée des questions de droits de l’homme, genre, résolution des conflits, paix et sécurité humaine. Elle est la co-fondatrice de l’ONG Weziza Afrika dont elle dirige, en qualité de Directrice, l’Institut Weziza Afrika pour la Gouvernance et les Droits de l’Homme dont le mandat touche les questions thématiques de justice transitionnelle, le genre dans la paix et la sécurité, la résolution des conflits, la paix et la sécurité humaine.




i. [1]Robert KEOHANE, Joseph NYE, Power and Interdependence : World Politics in Transition, New York, Longman, 1977, p.19
 [2] Octavie Marjorie Louisa NANGHO, la montée du terrorisme en Afrique Centrale : Etat des lieux et Perspectives, Mémoire de fin d’études de Master, UPA, Yaoundé, 2016, p.29
 [3] Bloc des pays émergents composés de : Brésil, Russie, Inde, Chine, South Africa (Afrique du Sud).
 [4] Charles KINDLEBERGER, Théorie de la stabilité hégémonique
 [5] Robert AXELROD, Donnant-donnant. Théorie du comportement coopératif (1984), Paris, Odile Jacob, 1992, p.21
 [6] Déclaration du Président Chinois, lors de la visite le 5 juillet 2016 du Président congolais S.E.M. M. Dénis SASSOU N’GUESSO en Chine
 [7] Dario BATTISTELLA, Théories des relations internationales- 5ième édition mise à jour, Paris, Presses de Sciences Po, 2015, p.432.