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Par Octavie Louisa
Les périodes de l’entre-deux-guerres mondiales et la fin de la guerre froide ont été marquées par l’émergence d’une nouvelle théorie en Relations internationales : celle de la Coopération. Portée par des ténors tels que Robert AXELROD, Robert KEOHANE, Joseph NYE, John RUGGIE, Stephen KRASNER, etc., la coopération suppose « l’institution d’une société globale construite sur un mode de gouvernance d’interdépendance[1] des Etats, de façon multidimensionnelle, pour faciliter les relations dans des domaines variés[2] ». Ainsi, avec la mondialisation, la coopération s’est invitée au centre des enjeux géopolitiques et géostratégiques des Etats modernes actuels.
La
Coopération : un bref rappel
Théoriquement,
la coopération s’entend de « l’action de participer à une œuvre ou à
une action commune», selon le centre national de ressources textuelles
et lexicales (CNTL) de France. Le dictionnaire Larousse la définit comme «
l’action de coopérer, de collaborer de participer à une œuvre commune, une
politique d’entente et d’échanges entre deux Etats». Plus spécifiquement, la
coopération est une alliance entre deux ou plusieurs acteurs pour un travail
collectif, d’une implication conjointe dans un domaine précis.
De manière
pratique, la coopération désigne l’aide apportée par un pays à un autre, dans
le but de contribuer à son développement dans un domaine quelconque. Pouvant
être bilatérale (entre deux pays) ou multilatérale (plusieurs partenaires),
elle s’étend généralement sur les domaines d’ordre militaire, sécuritaire, économique,
financier, technique, sportif, culturel etc.
Sur le plan
militaire, la coopération consiste en des actions conjointes et coordonnées, un
ensemble d’échanges relatifs à l’armée et la défense inter-Etats, de manière
synallagmatique ou non.
Cette tendance
mondiale de coopération internationale n’a point épargné le Congo qui, à l’aune
de son indépendance, a multiplié plusieurs types de coopération dans différents
domaines, y compris la coopération
militaire, et avec plusieurs partenaires régionaux et internationaux. A
côté de la France, le plus vieux de tous les partenaires avec lequel ce pays de
l’Afrique centrale entretient des relations diplomatiques ancrées dans son histoire, le Congo a noué des relations
diplomatiques avec d’autres acteurs internationaux, notamment la Chine, premier
pourvoyeur de Casques bleus parmi les 5 membres permanents du Conseil de
Sécurité de l’ONU et dont le développement multisectoriel depuis les années 70,
suscite de l’admiration de la part du Congo.
Avec la
mondialisation, la coopération militaire est devenue le recours sine qua non
des pays en voie de développement vers les BRICS[3]
et autres pays développés (Grande Bretagne, USA, France, Japon, Belgique…), sur
la base d’accords stratégiques diversifiés. Ainsi, la coopération militaire est
couverte par le chapitre « défense et sécurité » des accords
diplomatiques émergents. Ladite coopération repose sur deux jalons: 1)
l’assistance technique, qui fait partie des accords tacites, à partir
d’un mémorandum intergouvernemental – et 2) les « Accords de défense ».
Partie visible
de l’iceberg, ce premier jalon concerne généralement la coopération militaire
opérationnelle (à court et moyen termes), alors que le second jalon codifie et
englobe toutes les catégories de coopération militaire : opérationnelle et
structurelle (à long et très long termes).
Etablies depuis
le 22 février 1964, les relations diplomatiques entre la République du Congo et
la République Populaire de Chine se sont muries au fil des années pour revêtir
un caractère davantage sérieux. La coopération sino-congolaise s’est
diversifiée avec le temps pour atteindre son point cumulant en 2016, avec la
signature de plusieurs autres accords multisectoriels et multiformes ; ce
qui a fait de la Chine, une « partenaire stratégique globale »
du Congo, mieux, une partenaire désintéressée, étant entendu qu’elle ne pose
aucune conditionnalité pour ses prêts et aides.
Sous la
rubrique des l’assistance technique au Congo, la Chine intervient, à plus d’un
titre, en contribuant à la modernisation de l’armée Congolaise et de son
appareil de défense. Cette coopération revêt une importance indéniable,
couvrant les aspects : 1) de formation de troupes (Troop training) des
militaires Congolais dans les différentes écoles militaires Chinoises, à
travers les offres des bourses de formation, 2) d’acquisition d’équipements
militaires de pointe (Military Equipment Acquisition), notamment la logistique,
l’artillerie, les matériels informatiques et matériels de bureau, ainsi que
d’autres moyens techniques, 3) de transfert de connaissance (Knowledge
Transfer), de savoir-faire à travers les stages d’apprentissage des militaires
Congolais dans les écoles militaires de Chine, 4) d’assistances multiformes
gracieusement apportées à l’Etat congolais dans le domaine
médical et bien d’autres.
Pour ce qui est
de la coopération militaire structurelle, bien qu’il y n’ait pas de définition
juridiquement établie de la notion « d’Accord de défense », la France
est citée parmi les pays qui en a dûment signé un, avec le Congo. Cette
coopération de défense a évolué dans le temps et les amendements sont toujours
d’actualité entre le Congo et son partenaire traditionnel.
Dans sa forme
actuelle, la coopération militaire Sino-Congolaise est basée sur des
arrangements tacites ayant pour source un mémorandum intergouvernemental qui
prévoit des actions conjointes et coordonnées entre les deux pays dans le
domaine militaire. Ledit mémorandum ne comporte pas systématiquement des
clauses qui autorisent l’une des parties à intervenir dans la politique de
défense nationale ou dans la doctrine militaire de l’autre, même en cas de
menace ou d’agression extérieure. La signature d’un « Accord de
défense » proprement dit, relève de la volonté politique des deux Chefs
suprêmes des Armées des pays-amis.
Qui gagne concrètement de la coopération
militaire sino-congolaise ?
Pendant que
certains sont convaincus de ce que le «
leadership bienveillant[4]
» de la Chine est une forme de magnanimité à l’endroit du Congo, d’autres
le perçoivent comme étant une forme de tutorat, voire même de néocolonialisme.
Mais il n’existe pas de coopération unilatérale : chaque Etat, quoi que
pauvre, est dans un processus de « donnant-donnant[5]
» qui implique la notion d’association et de solidarité, plutôt que de gain
systématique ou de générosité.
Pour ce qui est
de la coopération sino-congolaise, elle a été conçue pour être transparente,
équitable et profitable aux deux parties, donc gagnant-gagnant, comme on pourrait le conclure à la lecture des
conclusions du Forum sur la Coopération Sino-Africaine (FCSA), tenu à Beijing,
les 3 et 4 Septembre 2018. Le Congo, faisant partie des quatre pays pilotes,
piliers de la coopération Chinoise en Afrique, la coopération militaire
Sino-Congolaise apparaît donc comme le parachèvement du décloisonnement des
stéréotypes linguistiques et culturels entre les deux peuples pour favoriser
une meilleure communication. Ainsi, dans cette coopération « gagnant-gagnant », le Congo bénéficie de
l’expertise de l’armée chinoise dans plusieurs secteurs et fournit à sa
partenaire, en l’occurrence la Chine, des matières premières issues de son
sous-sol notamment : le pétrole, la potasse, le fer, etc. Pour le
Président Chinois, S.E.M. Xi JINPING, « la Chine dispose d’un tissu industriel
complet, tandis que le Congo se trouve en pleine phase d’émergence et
d’industrialisation »[6].
C’est la preuve de la volonté manifeste de la Chine à œuvrer, avec l’implication
du Congo, au développement concret et pérenne de son partenaire dans plusieurs
domaines, dont militaire.
Comment
le Congo pourrait-il davantage optimiser sa coopération avec la Chine ?
Dans la
perspective de tirer pleinement profit de sa coopération avec le géant de
l’Asie, le Congo pourrait envisager, entre autres de:
• Explorer
les nouvelles perspectives de formation en multipliant les filières et les
spécialisations ;
• Multiplier
les collaborations avec les hauts instituts spécialisés de la Chine, dans les
domaines de sécurité, stratégie et défense ;
• Instituer
un Think-Thank ou Unité spéciale élargie, chargée des questions de coopération,
qui devra fonctionner comme un laboratoire de prospection et d’inventivité,
• Renforcer
son personnel travaillant sur les questions de coopération militaire, en
collaboration avec des universitaires et autres acteurs s’intéressant à la
question;
• Faire
avancer la coopération militaire, en initiant et concluant la signature
d’Accords de défense entre le Congo et la Chine ;
• Renforcer
la formation des militaires congolais dans le domaine de la technologie, du
numérique et des sciences de l’espace, afin de garantir la souveraineté
nécessaire à la lutte efficace contre le fléau de l’espionnage sur la scène
internationale.
En définitive, la coopération militaire
sino-congolaise est une coopération viable, fructueuse et stable, bien que
jonchée de plusieurs équivoques, entretenues par certains acteurs
internationaux. La Chine s’est avérée être un soutien indéfectible du Congo
durant les périodes de crises sociopolitiques qu’a connu ce dernier, à
travers : les dons multiformes, l’aide humanitaire, à l’armée et les soins
médicaux procurés aux populations Congolaises par les bateaux militaires
Chinois. Aussi, en 2016, la Chine a-t-elle entrepris les travaux d’extension et
de rénovation de l’Académie Militaire Marien N’GOUABI, afin de permettre au Congo
de répondre aux impératifs de l’évolution de la technologie, de s’arrimer aux
NTICs, de former qualitativement ses ressources humaines qualifiées et s’offrir
des infrastructures modernes. Le Congo pour sa part, s’active à mettre en place
des moyens idoines pour la bonne marche de la coopération militaire avec la
Chine. Ainsi, la coopération militaire Sino-Congolaise est un créneau favorable
au développement de l’appareil Congolais de défense. Ce serait véritablement le
tremplin de développement de l’armée Congolaise, si le pays s’engage à
appliquer rigoureusement et de façon pérenne les clauses de coopération le
liant au géant asiatique. Il pourra alors jouir de la prépondérance en
ressources matérielles, humaines, technologiques de puissance[7]
dont dispose la Chine.
REFERENCES
BIBLIOGRAPHIQUES:
- AXELROD Robert, Comment réussir dans un monde d’égoïstes: Théorie du comportement coopératif, Paris, Odile Jacob, 2006, 226p.
- BATTISTELLA Dario, Théories des relations internationales- 5ième édition mise à jour, Paris, Presses de Sciences Po, 2015, 686p.
- GAYE Adama, Chine-Afrique : Le dragon et l’Autriche, Paris, L’Harmattan, 2006, 294p.
- GOUNELLE Max, LANFRANCHI Marie-Pierre, Relations internationales, Paris, Dalloz, 11ième édition, 2015, 243p.
- KABOU Axelle, Et si l’Afrique refusait son développement ?, Paris, L’Harmattan, 2015, 208p.
- KEOHANE Robert, NYE Joseph, Power and Interdependence: World Politics in Transition, Longman, New York, 1977, 334 p.
Octavie Louisa est experte en Gouvernance et en Intégration Régionale. Elle est passionnée des questions de droits de l’homme, genre, résolution des conflits, paix et sécurité humaine. Elle est la co-fondatrice de l’ONG Weziza Afrika dont elle dirige, en qualité de Directrice, l’Institut Weziza Afrika pour la Gouvernance et les Droits de l’Homme dont le mandat touche les questions thématiques de justice transitionnelle, le genre dans la paix et la sécurité, la résolution des conflits, la paix et la sécurité humaine.
i.
[1]Robert KEOHANE, Joseph NYE, Power and Interdependence : World Politics
in Transition, New York, Longman, 1977, p.19
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