06 février 2020

Sécurité-défense - Coopération militaire sino-Congolaise : tremplin de développement de l’appareil de défense du Congo ?

-       Par Octavie Louisa

Les périodes de l’entre-deux-guerres mondiales et la fin de la guerre froide ont été marquées par l’émergence d’une nouvelle théorie en Relations internationales : celle de la Coopération. Portée par des ténors tels que Robert AXELROD, Robert KEOHANE, Joseph NYE, John RUGGIE, Stephen KRASNER, etc., la coopération suppose « l’institution d’une société globale construite sur un mode de gouvernance d’interdépendance[1] des Etats, de façon multidimensionnelle, pour faciliter les relations dans des domaines variés[2] ». Ainsi, avec la mondialisation, la coopération s’est invitée au centre des enjeux géopolitiques et géostratégiques des Etats modernes actuels.

La Coopération : un bref rappel

Théoriquement, la coopération s’entend de « l’action de participer à une œuvre ou à une action commune», selon le centre national de ressources textuelles et lexicales (CNTL) de France. Le dictionnaire Larousse la définit comme « l’action de coopérer, de collaborer de participer à une œuvre commune, une politique d’entente et d’échanges entre deux Etats». Plus spécifiquement, la coopération est une alliance entre deux ou plusieurs acteurs pour un travail collectif, d’une implication conjointe dans un domaine précis.
De manière pratique, la coopération désigne l’aide apportée par un pays à un autre, dans le but de contribuer à son développement dans un domaine quelconque. Pouvant être bilatérale (entre deux pays) ou multilatérale (plusieurs partenaires), elle s’étend généralement sur les domaines d’ordre militaire, sécuritaire, économique, financier, technique, sportif, culturel etc.
Sur le plan militaire, la coopération consiste en des actions conjointes et coordonnées, un ensemble d’échanges relatifs à l’armée et la défense inter-Etats, de manière synallagmatique ou non.
Cette tendance mondiale de coopération internationale n’a point épargné le Congo qui, à l’aune de son indépendance, a multiplié plusieurs types de coopération dans différents domaines, y compris la coopération militaire, et avec plusieurs partenaires régionaux et internationaux. A côté de la France, le plus vieux de tous les partenaires avec lequel ce pays de l’Afrique centrale entretient des relations diplomatiques ancrées dans son histoire, le Congo a noué des relations diplomatiques avec d’autres acteurs internationaux, notamment la Chine, premier pourvoyeur de Casques bleus parmi les 5 membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU et dont le développement multisectoriel depuis les années 70, suscite de l’admiration de la part du Congo.

La Chine, un partenaire militaire fiable du Congo ?

Avec la mondialisation, la coopération militaire est devenue le recours sine qua non des pays en voie de développement vers les BRICS[3] et autres pays développés (Grande Bretagne, USA, France, Japon, Belgique…), sur la base d’accords stratégiques diversifiés. Ainsi, la coopération militaire est couverte par le chapitre « défense et sécurité » des accords diplomatiques émergents. Ladite coopération repose sur deux jalons: 1) l’assistance technique, qui fait partie des accords tacites, à partir d’un mémorandum intergouvernemental – et 2) les « Accords de défense ».

Partie visible de l’iceberg, ce premier jalon concerne généralement la coopération militaire opérationnelle (à court et moyen termes), alors que le second jalon codifie et englobe toutes les catégories de coopération militaire : opérationnelle et structurelle (à long et très long termes).
Etablies depuis le 22 février 1964, les relations diplomatiques entre la République du Congo et la République Populaire de Chine se sont muries au fil des années pour revêtir un caractère davantage sérieux. La coopération sino-congolaise s’est diversifiée avec le temps pour atteindre son point cumulant en 2016, avec la signature de plusieurs autres accords multisectoriels et multiformes ; ce qui a fait de la Chine, une « partenaire stratégique globale » du Congo, mieux, une partenaire désintéressée, étant entendu qu’elle ne pose aucune conditionnalité pour ses prêts et aides.
Sous la rubrique des l’assistance technique au Congo, la Chine intervient, à plus d’un titre, en contribuant à la modernisation de l’armée Congolaise et de son appareil de défense. Cette coopération revêt une importance indéniable, couvrant les aspects : 1) de formation de troupes (Troop training) des militaires Congolais dans les différentes écoles militaires Chinoises, à travers les offres des bourses de formation, 2) d’acquisition d’équipements militaires de pointe (Military Equipment Acquisition), notamment la logistique, l’artillerie, les matériels informatiques et matériels de bureau, ainsi que d’autres moyens techniques, 3) de transfert de connaissance (Knowledge Transfer), de savoir-faire à travers les stages d’apprentissage des militaires Congolais dans les écoles militaires de Chine, 4) d’assistances multiformes gracieusement apportées à l’Etat congolais dans le domaine médical et bien d’autres.
Pour ce qui est de la coopération militaire structurelle, bien qu’il y n’ait pas de définition juridiquement établie de la notion « d’Accord de défense », la France est citée parmi les pays qui en a dûment signé un, avec le Congo. Cette coopération de défense a évolué dans le temps et les amendements sont toujours d’actualité entre le Congo et son partenaire traditionnel.
Dans sa forme actuelle, la coopération militaire Sino-Congolaise est basée sur des arrangements tacites ayant pour source un mémorandum intergouvernemental qui prévoit des actions conjointes et coordonnées entre les deux pays dans le domaine militaire. Ledit mémorandum ne comporte pas systématiquement des clauses qui autorisent l’une des parties à intervenir dans la politique de défense nationale ou dans la doctrine militaire de l’autre, même en cas de menace ou d’agression extérieure. La signature d’un « Accord de défense » proprement dit, relève de la volonté politique des deux Chefs suprêmes des Armées des pays-amis.

Qui gagne concrètement de la coopération militaire sino-congolaise ?
Pendant que certains sont convaincus de ce que le « leadership bienveillant[4] » de la Chine est une forme de magnanimité à l’endroit du Congo, d’autres le perçoivent comme étant une forme de tutorat, voire même de néocolonialisme. Mais il n’existe pas de coopération unilatérale : chaque Etat, quoi que pauvre, est dans un processus de « donnant-donnant[5] » qui implique la notion d’association et de solidarité, plutôt que de gain systématique ou de générosité.
Pour ce qui est de la coopération sino-congolaise, elle a été conçue pour être transparente, équitable et profitable aux deux parties, donc gagnant-gagnant, comme on pourrait le conclure à la lecture des conclusions du Forum sur la Coopération Sino-Africaine (FCSA), tenu à Beijing, les 3 et 4 Septembre 2018. Le Congo, faisant partie des quatre pays pilotes, piliers de la coopération Chinoise en Afrique, la coopération militaire Sino-Congolaise apparaît donc comme le parachèvement du décloisonnement des stéréotypes linguistiques et culturels entre les deux peuples pour favoriser une meilleure communication. Ainsi, dans cette coopération « gagnant-gagnant », le Congo bénéficie de l’expertise de l’armée chinoise dans plusieurs secteurs et fournit à sa partenaire, en l’occurrence la Chine, des matières premières issues de son sous-sol notamment : le pétrole, la potasse, le fer, etc. Pour le Président Chinois, S.E.M. Xi JINPING, « la Chine dispose d’un tissu industriel complet, tandis que le Congo se trouve en pleine phase d’émergence et d’industrialisation »[6]. C’est la preuve de la volonté manifeste de la Chine à œuvrer, avec l’implication du Congo, au développement concret et pérenne de son partenaire dans plusieurs domaines, dont militaire.

Comment le Congo pourrait-il davantage optimiser sa coopération avec la Chine ?
Dans la perspective de tirer pleinement profit de sa coopération avec le géant de l’Asie, le Congo pourrait envisager, entre autres de:
 Explorer les nouvelles perspectives de formation en multipliant les filières et les spécialisations ;
  Multiplier les collaborations avec les hauts instituts spécialisés de la Chine, dans les domaines de sécurité, stratégie et défense ;
 Instituer un Think-Thank ou Unité spéciale élargie, chargée des questions de coopération, qui devra fonctionner comme un laboratoire de prospection et d’inventivité,
  Renforcer son personnel travaillant sur les questions de coopération militaire, en collaboration avec des universitaires et autres acteurs s’intéressant à la question;
   Faire avancer la coopération militaire, en initiant et concluant la signature d’Accords de défense entre le Congo et la Chine ;
   Renforcer la formation des militaires congolais dans le domaine de la technologie, du numérique et des sciences de l’espace, afin de garantir la souveraineté nécessaire à la lutte efficace contre le fléau de l’espionnage sur la scène internationale.

En définitive, la coopération militaire sino-congolaise est une coopération viable, fructueuse et stable, bien que jonchée de plusieurs équivoques, entretenues par certains acteurs internationaux. La Chine s’est avérée être un soutien indéfectible du Congo durant les périodes de crises sociopolitiques qu’a connu ce dernier, à travers : les dons multiformes, l’aide humanitaire, à l’armée et les soins médicaux procurés aux populations Congolaises par les bateaux militaires Chinois. Aussi, en 2016, la Chine a-t-elle entrepris les travaux d’extension et de rénovation de l’Académie Militaire Marien N’GOUABI, afin de permettre au Congo de répondre aux impératifs de l’évolution de la technologie, de s’arrimer aux NTICs, de former qualitativement ses ressources humaines qualifiées et s’offrir des infrastructures modernes. Le Congo pour sa part, s’active à mettre en place des moyens idoines pour la bonne marche de la coopération militaire avec la Chine. Ainsi, la coopération militaire Sino-Congolaise est un créneau favorable au développement de l’appareil Congolais de défense. Ce serait véritablement le tremplin de développement de l’armée Congolaise, si le pays s’engage à appliquer rigoureusement et de façon pérenne les clauses de coopération le liant au géant asiatique. Il pourra alors jouir de la prépondérance en ressources matérielles, humaines, technologiques de puissance[7] dont dispose la Chine.


REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES:
  • AXELROD Robert, Comment réussir dans un monde d’égoïstes: Théorie du comportement coopératif, Paris, Odile Jacob, 2006, 226p.
  •  BATTISTELLA Dario, Théories des relations internationales- 5ième édition mise à jour, Paris, Presses de Sciences Po, 2015, 686p.
  • GAYE Adama, Chine-Afrique : Le dragon et l’Autriche, Paris, L’Harmattan, 2006, 294p.
  • GOUNELLE Max, LANFRANCHI Marie-Pierre, Relations internationales, Paris, Dalloz, 11ième édition, 2015, 243p.
  • KABOU Axelle, Et si l’Afrique refusait son développement ?, Paris, L’Harmattan, 2015, 208p.
  • KEOHANE Robert, NYE Joseph, Power and Interdependence: World Politics in Transition, Longman, New York, 1977, 334 p.

Octavie Louisa est experte en Gouvernance et en Intégration Régionale. Elle est passionnée des questions de droits de l’homme, genre, résolution des conflits, paix et sécurité humaine. Elle est la co-fondatrice de l’ONG Weziza Afrika dont elle dirige, en qualité de Directrice, l’Institut Weziza Afrika pour la Gouvernance et les Droits de l’Homme dont le mandat touche les questions thématiques de justice transitionnelle, le genre dans la paix et la sécurité, la résolution des conflits, la paix et la sécurité humaine.




i. [1]Robert KEOHANE, Joseph NYE, Power and Interdependence : World Politics in Transition, New York, Longman, 1977, p.19
 [2] Octavie Marjorie Louisa NANGHO, la montée du terrorisme en Afrique Centrale : Etat des lieux et Perspectives, Mémoire de fin d’études de Master, UPA, Yaoundé, 2016, p.29
 [3] Bloc des pays émergents composés de : Brésil, Russie, Inde, Chine, South Africa (Afrique du Sud).
 [4] Charles KINDLEBERGER, Théorie de la stabilité hégémonique
 [5] Robert AXELROD, Donnant-donnant. Théorie du comportement coopératif (1984), Paris, Odile Jacob, 1992, p.21
 [6] Déclaration du Président Chinois, lors de la visite le 5 juillet 2016 du Président congolais S.E.M. M. Dénis SASSOU N’GUESSO en Chine
 [7] Dario BATTISTELLA, Théories des relations internationales- 5ième édition mise à jour, Paris, Presses de Sciences Po, 2015, p.432.


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